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MARIVAUX.

taire, au Gil Blas de Lesage, et au Joseph Andrews ainsi qu’au Tom Jones de Fielding. C’est justement en 1735 que Lesage publia le XXIIe livre de Gil Blas.

Le héros du conte est un certain Jacob, Champenois de naissance, beau garçon, faraud et intrigant de son état, venu en sabots à Paris, fort habile à entrer dans les cuisines au moment où la broche tourne, décidé, comme tant d’autres, à faire fortune et à conquérir la grand’ville. Sous l’ancien régime, un laquais pouvait arriver à tout. À partir de l’année 1707, où Lesage fit voir, sur le théâtre, Crispin rival de son maître, la littérature du xviiie siècle s’encanaille, de plus en plus, dans la glorification des domestiques. Ce siècle marche vers les triomphes de ce suisse génial qui s’appela Jean-Jacques Rousseau, et vers l’apothéose de ce faquin redoutable qui se nomme Figaro.

Et l’histoire vraie s’accordait avec la fiction pour démontrer qu’en France comme dans le pays fabuleux des Mille et une Nuits, on pouvait dé portefaix devenir pacha et de goujat premier ministre. On pouvait commencer garçon de rivière au Port-au-foin, et finir tout-puissant dans la maltôte. Vainement le Règlement général pour la police de Paris, en date du 30 mars 1635, avait édicté cette injonction : « Faisons défenses à tous pages, laquais et hommes-de-chambre de porter aucunes épées, bâtons, ni armes offensives et défensives, à peine de la hard ». La valetaille s’émancipait. L’exemple venait de haut, depuis qu’un ancien saute-ruisseau, devenu précepteur, archevêque, académicien, ministre, connu dans l’histoire sous le titre et le nom du cardinal Dubois,