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MARIVAUX.

teur ne mit pas moins de seize ans à les raconter) sont noyées dans un véritable déluge de digressions, de dissertations, qui recommencent sans cesse avec une abondante volubilité. Cela est improvisé, au courant de la plume, selon la coutume de Marivaux, et sans retouches. On dirait que le fil du récit se casse sous la surcharge des accessoires. On sait que l’auteur, bien qu’il écrivît sans effort, abandonna et reprit plusieurs fois ce roman, selon la coutume du temps. Il y a des chapitres où il piétine sans avancer, comme un limonier fatigué, qui approche du relai. Les figures disparaissent dans une brume épaissie comme à dessein par la faconde intarissable et doucereuse du narrateur. Et pas un paysage ! Nulle indication capable de faire surgir, dans l’esprit du lecteur, une image brusque. Huit cent soixante-sept pages in-octavo, sans rien de ces traits précis et rapides, de ces détails circonstanciés qui, dans le roman moderne, ravivent l’attention, soutiennent l’intérêt, donnent enfin l’illusion de la vie. Pour peu qu’on ait vu, dans Balzac, des personnages exactement situés, dont on connaît le domicile, dont on sait le caractère, les tics et les habitudes, avec qui l’on est tenté de parler tout haut, et de qui, pour tout dire, l’existence fictive fait concurrence à l’état civil, on ne peut supporter, sans bâiller, le vague et le flou de ces ombres blêmes.

Ajoutons qu’à partir du neuvième chapitre un roman nouveau, l’histoire d’une religieuse récalcitrante, vient s’introduire, on ne sait pourquoi, dans la Vie de Marianne. Tels ces « tiroirs à surprises » que les ébénistes du temps de Louis XV — Migeon,