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MARIVAUX.

meaux et de consoles. Elles aiment assez qu’on les regarde ; car « il n’y a point de jolie femme qui n’ait un peu trop l’envie de plaire ; de là naissent ces petites minauderies plus ou moins adroites par lesquelles elle vous dit : Regardez-moi ». Elles s’amusent à des jeux qui ne sont pas toujours innocents, et dont le récit qu’on va lire donne quelque idée :

« …Ah ! la belle main ! s’écria-l-il ; souffrez que je l’admire. — Il n’est pas nécessaire. — De grâce. — Je ne veux point…. » Ce nonobstant, la main est prise, admirée, caressée : cela va tout de suite…. Arrêtez-vous…. Point de nouvelles. Un coup d’éventail par là-dessus ; coup galant, qui signifie : ne lâchez point. L’éventail est saisi ; nouvelles pirateries sur la main qu’on tient. L’autre vient à son secours ; autant de pris encore par l’ennemi…. « Mais je ne vous comprends point ; finissez donc.— Vous en parlez bien à votre aise, madame !… » Alors, la comtesse de s’embarrasser, le chevalier de la regarder tendrement ; elle de rougir, lui de s’animer ; elle de se fâcher sans colère, lui de se jeter à ses genoux sans repentance ; elle de pousser honteusement un demi-soupir, lui de riposter effrontément par un soupir tout entier ; et puis vient du silence ; et puis des regards qui sont bien tendres ; et puis d’autres qui n’osent pas l’être ; et puis…. « Qu’est-ce que cela signifie, monsieur ? — Vous le voyez bien, madame. — Levez-vous donc. — Me pardonnez-vous ? — Ah ! je ne sais.... »

Ecoutez maintenant ces bouts de dialogues.

Confidences d’une jeune fille de qualité à sa suivante :

Lucile. — Je te dis que mon parti est pris… Est-ce que tu crois que je me pique d’être plus indifférente qu’une autre ? Non, je ne me vante point de cela, et j’aurais tort de le faire ; car j’ai l’âme tendre, quoique naturellement vertueuse. Et voilà pourquoi le mariage serait une mauvaise condition pour moi. Une âme tendre et douce a des sentiments, elle en demande ; elle a besoin d’être aimée parce qu’elle aime ; et une âme de cette espèce-là entre les mains d’un mari n’a jamais son nécessaire.