Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
LA PHILOSOPHIE DES SOUBRETTES.

ce que je fais pour vous n’est pas trop dans l’ordre ; mais vous êtes un honnête homme, vous aimez ma jeune maîtresse, elle vous aime. Je crois qu’elle sera plus heureuse avec vous qu’avec celui que sa mère lui destine, et cela calme un peu mes scrupules. »

Messagères d’amour, habiles marieuses de beaux garçons et de jolies filles, elles sont merveilleusement clairvoyantes, et discernent d’un regard aigu les affinités électives qui attirent les amoureux et les amoureuses. Elles analysent, elles dissèquent. Quelle vue pénétrante des ressorts de nos passions ! Le geste, le maintien, un regard, une rougeur dont on ne peut se défendre, sont, pour elles, des signes certains. Elles ne se trompent jamais sur les symptômes, et leur diagnostic infaillible excelle à noter les signes avant-coureurs de la passion. « Où est-il donc, cet amour qu’il a ? s’écrie la soubrette des Serments indiscrets, en parlant de Damis. Nous avons regardé dans ses yeux, il n’y a rien ; dans ses paroles, elles ne disent mot ; dans le son de sa voix, rien ne marque ; dans ses procédés, rien ne sort ; de mouvements de cœur, il n’en perce aucun. Notre vanité, qui a des yeux de lynx, a fureté partout ; et puis, monsieur viendra dire qu’il a de l’amour, à nous qui devinons qu’on nous aimera avant qu’on nous aime, qui avons des nouvelles du cœur d’un amant, avant qu’il en ait lui-même ! »

Friandes d’amour et même d’amourettes, curieuses de quintessences romanesques, elles ne songent pas seulement aux autres. Elles comptent bien faire un sort à leur propre cœur, mais sans le laisser escamoter ; et, comme les bergères de Fra-