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MARIVAUX.

Dans la Surprise de l’Amour, c’est Lisette qui déchiffre à livre ouvert l’énigme cachée au cœur de la marquise. « Voyez ce que c’est ! dit cette fille rusée. Quand vous aimiez la vie, peut-être que vous n’étiez pas si belle ; la peine de vivre vous donne un air plus vif et plus mutin dans les yeux, et je vous conseille de batailler toujours contre la vie, cela vous réussit on ne peut pas mieux…. Vous êtes un peu trop négligée, et je suis d’avis de vous arranger un peu la tête. La Brie, qu’on apporte ici la toilette de madame — Vous n’en voulez point, vous refusez le miroir ! Un miroir, madame ! Savez-vous bien que vous me faites peur ; cela serait sérieux, pour le coup, et nous allons voir cela. Il ne sera pas dit que vous serez charmante impunément…. Allons, madame, mettez-vous là, que je vous ajuste. Tenez, le savant que vous avez pris chez vous ne vous lira point de livre si consolant que ce que vous allez voir. »

Une femme de chambre aussi adroite vaut son pesant d’or. Personne ne songe à s’offenser de ses hardiesses. C’est encore l’incomparable Lisette qui, par son rire en fusée et par ses irrésistibles arguments, déride et persuade, dans la Surprise de l’Amour, le chevalier à la triste figure. La boutade est amusante : a Monsieur le chevalier, j’étais sous le berceau pendant votre conversation avec la marquise, et j’en ai entendu une partie sans le vouloir. Votre voyage est rompu ; ma maîtresse vous a conseillé de rester, vous êtes tous deux dans la tristesse ; et la conformité de vos sentiments fera que vous vous verrez souvent. Je suis attachée à ma