Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
LA PHILOSOPHIE DES SOUBRETTES.

qu’un filet de voix, un peu grêle, mais elles s’en servent à ravir. Elles ont du nerf, les yeux fripons, l’humeur gaillarde, la peau blanche, la gorge ronde et provocante, la taille fluette, les bras frais et potelés, la main leste, la jambe vive, le pied mignon, et, avec tout cela, volontiers la larme à l’œil.

Elles ont autant d’aisance et de style que si elles avaient appris le maintien à l’Abbaye-aux-Bois, sous la direction des danseurs de l’Opéra. Comme leurs maîtresses, elles ont une toilette, un miroir et une boîte à mouches. Il est vraisemblable qu’elles ont étudié le clavecin. Leur minois spirituel s’aiguise en sourires volontiers pinces. Leurs yeux pétillent de malice et leurs lèvres en fleur sont coutumières de la moue. Elles pourraient toutes suppléer leur maîtresse, comme fait Lisette dans le Jeu de l’Amour et du Hasard. Elles sont bien les filles de ce siècle sociable — et plus égalitaire qu’on ne pense — où Mlle Delaunay, femme de chambre de la duchesse du Maine, était admise et recherchée aux soupers des marquises.

Par la correction de leur langage, elles sont petites-cousines des confidentes de tragédie. C’est Albine ou Phénice, ayant renoncé à la majesté du cothurne, à la pompe de l’alexandrin et préférant aux solennités du péplum antique, le fichu pointu, la jupe d’organdi et le tablier à bavette de tulle, tiré à quatre épingles. Elles ont remplacé la solennité des tirades héroïques par un caquet flûté, dont elles se servent en perfection pour donner à leurs maîtresses des consultations de casuistique amoureuse.

Ce sont des psychologues en jupon court.