Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
MARIVAUX.

Double Inconstance ou du Triomphe de l’Amour, enjolivée de couleurs légères par le peintre de l’Île enchantée et de l’Embarquement pour Cythère. Tous deux, bien que leurs talents fussent séparés par de notables traits, aimaient à peu près les mêmes choses : les fins visages que l’esprit fait sourire du bout des lèvres, et que la fantaisie amoureuse fait pleurer du bout des cils ; les mains menues qui jouent avec l’éventail et qui savent, à certaines heures, narguer les malices de la destinée par la grâce conquérante d’un geste impertinent…. Ils ont aimé les tendresses gaies, les passions spirituelles et bien disantes, les jolies têtes qu’enveloppe un nuage de poudre, les souliers pomponnés, les manières polies, le langage subtil et volontiers précieux. Sans doute, leurs âmes étaient charmantes. Un rien suffisait pour leur donner le goût de la vie. Soixante-dix ans avant les guillotinades révolutionnaires, ils ont voulu voir le monde en rose, en bleu, en vert céladon. Ils l’ont peint tel qu’ils le voyaient. Ils ont vécu dans une fête galante et sentimentale qui, pour les citoyens de notre démocratie, semble dater d’avant le déluge. Les personnes sérieuses qui auraient quelque tendance a fuir leur prétendue frivolité doivent tout de même les consulter comme des témoins. Malgré leurs prédilections pour les scènes illusoires de la Comédie-Italienne, Watteau et Marivaux ressuscitent, avec une clarté singulière, un monde réel, une race, maintenant disparue, dont les grâces un peu minaudières ont donné au monde un incomparable divertissement.

On ne peut imaginer une compagnie de meilleur