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MARIVAUX.

l’angélique de l’École des mères

Il faut conter encore l’histoire d’une autre Angélique. C’est l’héroïne d’une comédie larmoyante dont Marivaux a indiqué clairement le dessein en l’intitulant l’École des mères.

Cette Angélique a seize ans. C’est l’âge — ou peu s’en faut — qu’avait Juliette, quand Roméo montait par une échelle de soie, vers sa fenêtre fleurie. C’est l’âge trouble et charmant où les ingénues rêvent d’offrir à quelqu’un les prémices d’un cœur tout neuf, qui s’éveille. Angélique a trouvé son Roméo dans la personne d’un certain Eraste, qui est réduit, par les sévérités de plusieurs duègnes, à se déguiser en valet de comédie pour la voir de près. Mme Argante, mère d’Angélique, monte la garde, nuit et jour, autour de la vertu de sa fille. Mme Argante est une bourgeoise de finance ou de robe, digne de figurer dans ce tableau de l’Éducation sèche et rebutante qu’a peint Charles Coypel. Elle surveille terriblement les lectures de sa fille, lui interdit la société des « jeunes étourdis » et croit la préserver de la coquetterie, en lui imposant des corsages plats, des jupes sans volants, des « devants de gorge » soigneusement clos et des collets montés. Chaque soir, lorsqu’elle vient la border dans son lit de pensionnaire, sous son couvre-pieds de ratine blanche, entre deux beaux et bons draps de lessive, elle s’applaudit d’avoir mis au monde une fille aussi parfaitement innocente. Elle la compare mentalement aux jeunes évaporées « qui sont élevées dans le monde