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JEUNES FILLES.

supposé, qui n’est autre que lui-même. Il se heurte non seulement à un refus, mais à des plaisanteries cruelles. Fort déconfit, il n’a plus d’autre ressource que de se jeter aux pieds de la belle, en s’écriant : « C’est moi…. Oui, c’est moi à qui l’amour le plus tendre avait imprudemment suggéré un projet dont il ne me reste plus qu’à demander pardon. » Cela peut sembler maladroit. Mais, en amour, les pires maladresses sont parfois plus utiles que toutes les roueries. Cette démarche non calculée éveille, dans le cœur d’Angélique, ce commencement d’intérêt qui est parfois le principe des plus fortes passions. Son amoureux ne lui semble plus si bourgeois. Elle lui fait des reproches sur son stratagème. Lorsqu’une femme consent aux reproches, c’est qu’elle est déjà plus qu’à demi vaincue. Il ne manque plus à ce cœur, pour achever sa défaite, et pour assurer sa félicité, qu’un petit accès de jalousie. Dans cette occasion, le marquis, père d’Angélique, se conduit en vrai père noble, et ménage un imbroglio qui sent son auteur d’une lieue. Il débite à Dorante un discours qui peut se résumer ainsi : « Vous êtes honnête homme, et je vous veux pour gendre. Puisque Angélique fait la fière, que n’épousez-vous mon autre fille ? Je vous autorise à lui faire un brin de cour. » L’amoureux semble se rendre, par obéissance, à ce conseil. Il n’en faut pas davantage pour décider Angélique, jalouse, à lui donner sa main. C’est ainsi que, dans cette comédie de mœurs quasiment mythologique, le Préjugé, petit démon malin, est vaincu par l’Amour, dieu bienfaisant.