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MARIVAUX.

Cette parole prouve que son cœur est touché. Mais, au rebours d’Hortense, elle voudrait que Dorante montrât, dans sa façon de déclarer son amour, moins de douceur et de soumission. Elle trouve qu’il se prosterne trop, qu’il débite des fadeurs, qu’il « manque de monde ». Au fond, ce travers qui dépare sa bonne grâce, n’est que la forme fâcheuse d’une vraie noblesse d’esprit et de cœur. C’est bon signe, quand une jeune fille est romanesque. Avant d’entrer dans la réalité, il n’est pas mauvais de tenter un petit voyage au pays des rêves. Donc, ce que rêve Angélique, c’est un superbe seigneur, infiniment noble, ne parlant que sur un ton de commandement, et dominant l’univers de ses airs impérieux. Elle le voit sur un cheval de bataille, en bottes éperonnées, en chapeau galonné, et caracolant, l’épée, au clair, en avant d’un escadron vainqueur. Elle l’imagine, entouré de piqueurs et de valets de chiens, forçant les cerfs à la course, et emplissant de fanfares triomphales les vallons et les bois. Elle tombe de son haut, lorsqu’elle voit venir à elle ce prétendant qui marche à pied, simplement, comme un bourgeois, et qui n’exerce nulle part les droits du seigneur. Elle juge que, pour elle, c’est un bien petit monsieur. Dorante, fort déconcerté par l’accueil qui lui est fait, s’avise d’un moyen assez enfantin pour faire agréer sa flamme. Il profite de l’amitié qui le lie au père d’Angélique, pour dire à cette jeune fille qu’il est chargé de lui proposer un parti. C’est un moyen de comédie. Toujours est-il que, pour éprouver les dispositions de celle qu’il aime, il lui trace le portrait d’un prétendant