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JEUNES FILLES.

fière. Elle veut le réduire et achever sa capitulation. Elle y emploie l’ironie la plus fine, les grâces les plus coquettes. Elle veut épargner au nouveau converti le danger de tomber en des rechutes. C’est bien la plus charmante et la plus raisonnable fille du monde. Elle dompte un instant l’inclination de son cœur, et se fait volontairement cruelle afin de pousser à bout une victoire qu’elle juge nécessaire au bonheur de celui qu’elle a choisi. Rien de plus adroit ; de plus délicat, et, au fond, de plus tendre que sa conduite. Et, lorsque Rosimond, enfin débarrassé de tout son jargon de fausse galanterie, lui avoue franchement, candidement son amour, elle peut lui dire en toute sincérité : « Ne me sachez pas mauvais gré de ce qui s’est passé ; je vous ai refusé ma main, j’ai montré de l’éloignement pour vous ; rien de tout cela n’était sincère ; c’était mon cœur qui éprouvait le vôtre. Vous devez tout à mon penchant ; je voulais pouvoir m’y livrer ; je voulais que ma raison fût contente, et vous comblez mes souhaits. Jugez à présent du cas que j’ai fait de votre cœur par tout ce que j’ai tenté pour en obtenir la tendresse entière. »

Quant à Dorante, comme il a l’audace de se plaindre, elle lui dit son fait d’un mot qui est leste et frappant comme un coup d’éventail : « Vous n’avez rien à me reprocher. Dorante ; vous vouliez profiter des fautes de votre ami, et ce dénouement-ci vous rend justice ». Ainsi donc, il ne faut jurer de rien. Voilà le petit-maître corrigé. Et le quadrille finit par cette figure que les maîtres de danse, en ce temps-là, appelaient, je crois, l’Aimable vainqueur.