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MARIVAUX.

appuya sur l’histoire du billet retrouvé…. L’arrivée d’Hortense et de Dorante, qui venaient du fond du parc, mit fin à cet entretien pénible. Occupés à causer d’affaires apparemment sérieuses, ces deux jeunes gens continuèrent leur conversation, si bien que Rosimond et la vieille comtesse, dissimulés derrière une palissade, crurent pouvoir écouter sans être vus. Mais Hortense les avait aperçus, juste au moment où ils se cachaient. Elle ne prévint pas son interlocuteur, et profita de cette circonstance pour faire une petite déclaration de principe où son âme tendre et raisonnable se peignait sous les plus charmantes couleurs : « Il faudra qu’on me dise mille fois : je vous aime, avant que je le croie et que je m’en soucie ; qu’on se fasse une affaire de la dernière importance de me le persuader ; qu’on ait la modestie de craindre d’aimer en vain, et qu’on me demande enfin mon cœur comme une grâce qu’on sera trop heureux d’obtenir. Voilà à quel prix j’aimerai, Dorante, et je n’en rabattrai rien ; il est vrai qu’à ces conditions-là, je cours risque de rester insensible.

Ces paroles d’une jeune fille qui ne badine pas avec l’amour et qui a du courage jusque dans l’esprit achevèrent de soumettre le cœur, déjà conquis, de Rosimond. Il sentit d’abord une « blessure sourde ». Puis il entra dans une extrême agitation. Il se fâcha, contrefît l’indifférent, mais de mauvaise grâce. Il alla trouver la comtesse Dorimène, la quitta, donna enfin les marques d’un grand désordre d’esprit.

Il rêve. C’est son cœur qui le mène, en dépit qu’il en ait. Bref, Hortense le croit touché. Mais elle est