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JEUNES FILLES.

prit à penser. « Eh bien ! se dit-il à lui-même, cette fille qui m’aime et qui se résout à me perdre parce que je ne donne pas dans la fadeur de languir pour elle, voilà une sotte enfant ! Allons pourtant la trouver. »

« Allons pourtant la trouver ! » Ce jeune seigneur n’était point habitué à faire le « premier pas ». Cette avance, à laquelle il consentait, fut la première étape de sa conversion. Il se mettait en route vers son amendement, vers son bonheur, lorsqu’il rencontra la vieille comtesse, fort aigre et qui voulait, sur l’heure, être épousée. Il allait passer outre, lorsqu’il trouva son valet tout essoufflé et pouvant à peine trouver des mots pour lui annoncer une terrible nouvelle : « Ah ! monsieur ! Dorante fait l’amour, monsieur, l’amour à votre belle Hortense ; si vous entendiez là-bas comme il se démène, comme les déclarations vont dru, comme il entasse les soupirs ! J’en ai déjà compté plus de trente de la dernière conséquence, sans parler des génuflexions, des exclamations : madame par-ci, madame par-là ; ah ! les beaux yeux ! ah ! les belles mains ! Et ces mains-là, monsieur, il ne les marchande pas ; il en attrape toujours quelqu’une qu’on retire, couci-couci, et qu’il baise avec un appétit qui me désespère ; je l’ai laissé comme il en retenait une sur laquelle il s’était déjà jeté plus de dix fois, malgré qu’on en eût ou qu’on n’en eût pas, et j’ai peur qu’à la fin elle ne lui reste. »

Le marquis affecta de prendre en dérision cette aventure. Il chassa son valet en le traitant de faquin et de maraud. Mais celui-ci revint à la charge, et