Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
MARIVAUX.

part soi, et je ne plains pas la soubrette qui l’aura. » Quant à lui, sa clairvoyance hésita devant les grâces de la fausse suivante. « Cette fille-ci m’étonne, pensa-t-il tout bas. Il n’y a point de femme au monde à qui sa physionomie ne fît honneur. » Et, s’enhardissant non sans gaucherie à la tutoyer selon l’usage, il lui dit : « Je suis presque timide ; ma familiarité n’oserait s’apprivoiser avec toi ; j’ai toujours envie d’ôter mon chapeau de dessus ma tête, et quand je te tutoie, il me semble que je joue : enfin j’ai un penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire. Quelle espèce de suivante es-tu donc, avec ton air de princesse ? »

Abusés par une double méprise, ils éprouvent cette délicieuse terreur, que l’on redoute à la fois et que l’on désire, lorsqu’on se sent glisser malgré soi sur la pente du sentiment. Ils se défendent contre leur inclination, et ils savourent par avance la certitude de leur défaite. Surpris par l’amour, ils hésitent d’abord, ils refusent de se laisser toucher par les atteintes irrésistibles de la passion naissante. Ils vont l’un vers l’autre, mais selon l’habitude des personnages de Marivaux, un peu en zig-zag…. On peut trouver d’ailleurs que la situation de ces deux amants travestis est fausse, presque choquante. On a souffert de voir la délicate Silvia s’amouracher d’un homme qu’elle prend pour un laquais. Toutefois, M. Brunetière s’est montré un peu sévère pour ce Jeu de l’Amour et du Hasard, lorsqu’il y a noté une « immoralité naïve ».

Assurément, cette jeune fille est aussi exempte que possible des préjugés de sa caste. Elle devance