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JEUNES FILLES.

sandre ? reprend-elle. Oui, Tersandre. Il venait, l’autre jour, de s’emporter contre sa femme. J’arrive, on m’annonce : je vois un homme qui vient à moi les bras ouverts, d’un air serein, dégagé ; vous auriez dit qu’il sortait de la conversation la plus badine ; sa bouche et ses yeux riaient encore. Le fourbe ! Voilà ce que c’est que les hommes. »

Bref, elle ne veut se marier qu’à bon escient, eti se mettre, à force de précautions, à l’abri de toutes les déconvenues. Son père, M. Orgon, lui annonce la venue d’un prétendant nommé Dorante. Elle consent à le voir, mais à une condition : elle changera d’ajustement avec sa suivante Lisette. Dorante la verra d’abord sous la cornette et le tablier d’une femme de chambre. S’il l’aime en cet équipage, c’est donc que son cœur sera sérieusement pris. Elle sera sûre d’être aimée pour elle-même. Nulle crainte que des considérations d’intérêt ou des petitesses de vanité ne se mêlent à cette merveilleuse passion. Être adorée purement et simplement, comme une petite bergère de pastorale amoureuse, n’est-ce pas le rêve de toutes les jeunes filles de qualité ?

Or, tandis que Silvia se berçait de cet espoir, et préparait son innocent stratagème, Dorante, pris des mêmes scrupules, songeait à s’assurer, par les mêmes moyens, la certitude d’être aimé sincèrement. Il échangeait son gilet à fleurs et son justaucorps brodé, contre la livrée galonnée de son valet. Cent huit ans avant Ruy Blas, il voulait que la noblesse de son âme apparût sous l’habit d’un laquais.

La première entrevue de Silvia et de Dorante fut singulière. « Ce garçon n’est pas un sot, dit-elle à