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MARIVAUX.

SILVIA

La raison en personne. Presque trop raisonnable, si ses discours sensés ne se paraient de grâce souriante, et si sa voix parfois, même lorsqu’elle parle d’or, ne tremblait d’émotion.

Cette jeune fille a beaucoup réfléchi sur l’inévitable sujet auquel rêvent les imaginations de vingt ans. Ses idées sur le mariage sont déjà fixées. Elle ne se fait pas beaucoup d’illusions sur les lendemains de la fête. Elle sait que les fiancés sont toujours aimables et que les maris sont parfois grognons. « Oui, dit-elle, fiez-vous-y à cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un quart d’heure après, pour faire place à un visage sombre, brutal, farouche, qui devient l’effroi de toute une maison. Ergaste s’est marié ; sa femme, ses enfants, son domestique ne lui connaissent encore que ce visage-là, pendant qu’il promène partout ailleurs cette physionomie si aimable que nous lui voyons, et qui n’est qu’un masque qu’il prend au sortir de chez lui. » Elle continue sur ce ton : « N’est-on pas content de Léandre, quand on le voit ? Eh bien ! chez lui, c’est un homme qui ne dit mot…. C’est une âme glacée, solitaire, inaccessible. Sa femme ne le connaît point, il n’a point commerce avec elle ; elle n’est mariée qu’avec une figure qui sort d’un cabinet, qui vient à table, et qui fait expirer de langueur, de froid et d’ennui tout ce qui l’environne. N’est-ce pas là un mari bien amusant ? » Ce n’est pas tout. « Et Ter-