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MARIVAUX.

lisait. Il lisait. Il salua discrètement. Elle répondit de même. Elle laissa tomber son livre. Il le ramassa. Le lendemain, même promenade, mêmes allées, même rencontre, même inclinaison de têtes, et plus de livres de part et d’autre. Elle est belle ; il s’en aperçoit. Elle est riche ; il n’en sait rien. Tous deux sont aimables, l’amour s’est mis de la partie, cela est naturel. Sept ou huit entrevues ont été ménagées entre les deux amoureux par la suivante Lisette, soubrette futée, qui aime les manèges secrets et les beaux sentiments. Dorante veut épouser Angélique. Et ce n’est pas son bien qui lui fait envie. Car, juste au moment où il l’a rencontrée, il était sur le point de se marier avec une veuve très opulente. Angélique, de son côté, le trouve tout à fait de son goût. Il est sans fortune, mais qu’importe ? « À son âge, ce n’est point un défaut », dit-elle, c’est à peine un malheur qu’elle considère, pour sa part, comme une bagatelle. Malheureusement, Mme Argante, mère d’Angélique, n’entend point plaisanterie sur cette bagatelle.

Ce n’est point que Mme Argante soit trop impérieuse. Tant s’en faut. Elle adore sa fille. Jamais aucun nuage ne s’est élevé entre elles deux, soit que celle-ci se soumette à toutes les volontés de celle-là, soit que celle-là obéisse à tous les caprices de celle-ci. Mais Mme Argante ressemble à beaucoup de mères. Elle vise le gendre riche, le gendre de son choix et ne songe guère à consulter, sur un sujet, qui est cependant de quelque importance, les préférences mystérieuses de sa fille. Elle professe, sur le chapitre du mariage, la doctrine longtemps admise, que