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JEUNES FILLES.

œuvre d’art tout à fait exquise, et la simplicité semble son moindre défaut.

Il semble que cette poupée un peu façonnière n’ait été créée et mise au monde que pour vivre artificiellement à la clarté des girandoles, sous des plafonds peints où voltigent des amours, et pour jouer toute sa vie à des passe-temps plus ou moins frivoles, devant les camaïeux d’un salon ou sur les boulingrins d’un parc à la française. Le désir de plaire semble l’unique ressort de sa volonté. Elle échappe aux définitions et s’esquive en riant dès qu’on veut la saisir. Son cœur a-t-il un secret ? Nul n’en sait rien encore. Et c’est pour elle, dirait-on, qu’ont été inventés les jeux d’esprit auxquels se plaisait l’oisiveté de nos grand’mères.

Survient un prétendant. Il se nomme Damis. Il est beau, bien fait. Tout le monde s’accorde à reconnaître les qualités de son esprit et de son caractère. Il n’a qu’un défaut : c’est que Lucile ne le connaît pas, et qu’il ne connaît point Lucile. On veut le marier. On veut la marier. Tous deux sont exposés aux risques de ces « mariages par présentation », de ces « arrangements » que les parents prétendus sérieux recherchent avec un zèle excessif. Damis lui-même ne marche vers ce projet d’union qu’avec des précautions infinies et des appréhensions non dissimulées. Quant à Lucile, elle n’aime point les accordailles « où le cœur ne se marie pas ». Cette première apparition du mariage, ce contrat, quasiment commercial, rêvé par d’excellents parents qui ne se souviennent plus d’avoir été jeunes, révoltent son instinct romanesque et sa volonté géné-