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MARIVAUX.

midi, M. d’Avaux vint. Nous le trouvâmes, comme il était, « abominable ». Quand Mlle de Bourbonne sortit du parloir, tout le monde lui disait : « Ah ! mon Dieu, que ton mari est laid ! Si j’étais de toi, je ne l’épouserais pas. Ah ! la malheureuse ! » Et elle disait : « Ah ! je l’épouserai, car papa le veut, mais je ne l’aimerai pas, c’est une chose sûre. »

Une autre fois (c’est encore la princesse de Ligne qui nous a conservé ce trait), les jeunes filles de l’Abbaye-aux-Bois assistèrent à un spectacle qui troubla leur cœur. C’était la prise de voile d’une novice, Mlle de Rastignac, âgée de vingt ans, et tombée, depuis près de deux années, dans une mélancolie affreuse. Le bruit courait qu’on la faisait religieuse malgré elle…. Cependant elle refusa, malgré les instances de son confesseur, de rentrer dans le monde, où sa famille tenait un très beau rang. Le jour de sa profession, elle manqua de défaillir en marchant vers l’autel. Très belle, sous sa robe de crêpe blanc brodée d’argent et de diamants, elle était pâle comme une morte. Le prédicateur la félicita de son renoncement, disant combien il est méritoire de quitter le monde quand on est faite pour y être adorée. Elle garda une bonne contenance pendant ce sermon et soutint ce choc avec un admirable courage…. Quand on ferma sur elle la porte de clôture, et qu’on y poussa les verrous avec fracas , elle chancela. Elle tressaillit quand la maîtresse des novices mit les ciseaux dans sa chevelure blonde. On lui dicta des vœux, qu’elle dut prononcer, à genoux devant l’abbesse : « Je fais vœu à Dieu, entre vos mains, madame, de pau-