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LES PERSONNAGES DE MARIVAUX.

femmes d’un temps où l’amour, paré, de politesse frivole, ne fut pas exempt, pour cela, d’inquiétude ni de souffrance.

À mesure que l’on avance dans cette lecture et dans cette rêverie, on aperçoit, peu à peu, par delà les formes idéalisées où Watteau et Marivaux ont fait chatoyer tous les reflets du satin et toutes les nuances du sentiment on aperçoit le monde fragile dont ils ont perpétué le caprice, le siècle où ils ont goûté la douceur et l’ennui de vivre ; on entrevoit le paradis d’amour vers lequel soupirait leur fantaisie.

Et l’on regarde passer, soudain ressuscitées, les mortes dont ils furent amoureux.

Elles s’appellent Clarice, Angélique, Constance, Lucile ; quelquefois même, en des heures plus fantasques, elles s’intitulent Hermiane, Garise, Églé, Dina…. Sous ces noms de pastorale italienne, sous ces déguisements mythologiques, sous ces demi-masques à la Watteau, il est aisé de les reconnaître a leurs yeux souriants, à leurs gestes vifs, à leurs causeries spirituelles. Ces jeunes filles sont des Françaises, nées vraisemblablement vers le temps où le roi Louis XIV était vieux et où, par conséquent, le royaume était triste. Elles ont été admises à la vie mondaine vers le temps où le roi Louis XV était jeune et où, par conséquent, le royaume était gai.

Le tendre et raisonnable Marivaux a prodigué, dans la peinture de leurs grâces, toutes les ressources de son réalisme romanesque, et il a fait