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MARIVAUX.

mière place aux passions sincères. Il a été le peintre de l’amour honnête et charmant.

Il semble parfois que Marivaux a prêté une âme aux figurines que Watteau fait remuer, rire ou soupirer devant nous. Il sait le secret de leurs joies et de leurs peines. Il connaît le mystère de tous ces visages, qui défient volontiers, sous le loup de velours noir, notre curiosité intriguée. Expert à découvrir toutes les malices ingénues et toutes les naïvetés rusées que peut receler un cœur de femme, il a traduit en langage clair la pantomime des voyageurs nonchalants qui abordent aux rives de l’Île enchantée. Il nous aide à comprendre ce qui se cache de vérité sous la fantasmagorie de l’Embarquement pour Cythère. Comme le peintre mélancolique et amusé dont les tableaux illustrent ses dialogues, il a choisi, pour y enclore la réalité observée et le songe entrevu, un amusant décor de carnaval latin. Le cadre frêle de la comédie italienne ne lui a point paru si étroit qu’il ne pût y inscrire le coin de vie qui s’offrait à ses regards. Au premier abord, ses personnages semblent déguisés de costumes empruntés au vestiaire d’Arlequin et de Colombine. Mais très vite toute la séquelle italienne a disparu. Les noms n’y font rien. Vainement on chercherait, dans ces tableaux rajeunis, le vieux Pantalon, négociant de Venise, et le Docteur de Bologne, et Pulcinella, baladin de la Pouille, et don Spavento, matamore de Naples, et le niais Brighella et le fripon Mezzetin. Si l’on y fait quelque attention, il est aisé de remarquer que, sous ces apparences, un témoin sérieux et pensif nous montre les hommes et les