Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t5, 1874.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

ROJIÉO ET JULIETTE. i’il Je dois seule accomplir ma formidable tâche. Elle prend la fiole cachée sur elle. Viens ! breuvage enchanté! — cependant, sur mon corps S’il était sans pouvoir! me faudrait-il alors Épouser Paris? — Non. Déposant un poignard près de son Ut. Voilà ma sauvegarde; Toi, dors à mon côté, — mais si (que Dieu m’en garde!) Si c’était un poison qu’en ma main eût remis Le moine, dans la peur de se voir compromis Par ce second hymen, lui, dont la voix complice M’unit à Roméo ! — Je le crains; — ô supplice! En y songeant, ma crainte est de la déraison ; Laurence est un saint homme; — est-ce là du poison? Je n’en crois rien. Elle s’assied, et après avoir rêvé longtemps. Mais quoi! si par un sort contraire, J’allais me réveiller dans mon lit funéraire Avant que Roméo ne vînt pour me sauver ! l’effroyable idée impossible à braver! Ne serai-je donc pas sans secours suffoquée Dans cette voûte, au loin, sous terre, pratiquée. Dont le seuil ne reçoit ni l’air pur ni le jour! N’étoufferai-je point dans ce morne séjour Sans revoir mon amant! — ou, si je suis vivante. N’est-il pas à penser que, prise d’épouvante A l’horreur de la nuit, à l’horreur du trépas. Au vol lourd des hiboux vers leurs hideux repas, Seule, en ces froids caveaux, ces humides murailles. Réceptacles profonds de tant de funérailles. Des corps de mes aïeux d’âge en âge encombrés. Que Tybalt, encor frais, les bras de sang marbrés. Vient de se faire ouvrir, qu’à des heures certaines, De longs spectres, dit-on, visitent par centaines... Hélas! hélas! n’est-il pas probable que, moi, M’éveillant au milieu de ces objets d’effroi. Aux cris plaintifs des morts dont l’àme se désole... Oui, oui, si je m’éveille alors, — je serai folle !