Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t5, 1874.djvu/179

Cette page n’a pas encore été corrigée

ROMÉO ET JULIETTE. 171 JULIETTE. Homme de Dieu, cessez; Ne dites point savoir le mal qui me possède Que vous ne m’en puissiez dire aussi le remède. Et si vous n’avez point de secours à m’offrir, Moi seule, avec ce fer, je vais me secourir. Mon Roméo, nos cœurs sont unis par Dieu même, Et nos mains par son prêtre, — ô mon amour suprême! J’en fais serment, avant que te soient arrachés Et mon cœur et ma main, tous deux seront séchés! A Laurence. Ah! mon père, un conseil, tel que l’honneur l’avoue, Qui rompe cette trame horrible, ou la déjoue... Sinon, sanglant arbitre entre le sort et moi. J’en croirai ce poignard qui sauvera ma foi. Parlez, ne soyez pas si lent à me répondre... Je sens dans mon cerveau les objets se confondre ! DOM LAURENCE. Juliette ! le ciel m’a peut-être inspiré ! Mais il faudrait un acte aussi désespéré Que votre malheur même et l’état de votre àme... ma fille, si vous, faible et timide femme. Vous ne frémissez pas de vous donner la mort, Seul crime sans pardon, puisqu’il est sans remord! Vous aurez bien le cœur de tenter, il me semble. Un moyen qui n’est pas la mort, mais lui ressemble. Si vous vous en sentez la force, je poursuis. JULIETTE. Ah ! dans le désespoir effroyable où je suis,

n’est rien qu’à présent mon courage n’affronte. 

Oui, dites-moi, plutôt que d’épouser le comte, De me précipiter du haut de cette tour; Enchaînez-moi bien loin sur un mont, nuit et jour. Hanté par les lions, à l’ardente crinière ; Ou bien ordonnez-moi de forcer une bière Et de m’envelopper dans le même linceul Que le mort, étonné de ne plus dormir seul!... Commandez-moi ces mille horreurs que Ton abhorre, Dont le nom me glaçait le cœur, hier encore.