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a quelquefois dans leurs ouvrages défaut de force, défaut d’imagination, défaut d’originalité ; comme les défauts de Shakspeare et de Dante sont le mauvais goût, l’inconvenance et l’irrégularité. Chez les uns, les défauts sont négatifs, et pour ainsi dire d’omission ; chez les autres, ils sont positifs et en relief : voilà tout. Ces quatre hommes n’en sont pas moins quatre poètes divins. Et puis, ainsi que l’a dit M. de Chateaubriand, qu’il faut toujours citer, il est temps de laisser la critique mesquine des défauts pour la grande et féconde critique des beautés ; nous avons assez de gens pour faire très-bien la première. Nous pouvons sans scrupule tenter la seconde. Nous avons vu exposer à la risée du peuple des salons quelques vers du Cromwell, comme ridicules et barbares ; mais on s’est bien gardé de dire dans quelle bouche et dans quelle situation ils se trouvent. Il nous serait facile d’extraire des Femmes savantes ou de l’École des Femmes une multitude de vers qui feraient hausser les épaules à tous nos hommes de goût, s’ils ne connaissaient pas d’avance ce que c’est qu’Armande, Trissottin et Arnolphe. Au surplus, on ne saurait trop se méfier des jugements des hommes d’esprit qui ne savent rien, ou des savants qui n’ont pas d’esprit, et on ne s’en méfie nullement. La supériorité dans un juge littéraire est presque aussi rare que dans un auteur, et elle a presque toujours le même sort. Les enthousiasmes et les anathèmes de ces esprits d’élite sont d’abord traités d’oracles insensés par le public aveugle et sourd ; mais leur voix a un écho dans les âmes ouvertes aux émotions poétiques ; mais, peu à peu, leurs paroles trouvent des bouches pour les répéter, des oreilles pour les entendre, des intelligences pour les apprécier, et ce qui paraît folie et mensonge aujourd’hui sera sagesse et vérité dans quelques années. Vingt personnes voient déjà ce que tout le monde verra plus tard. Ce n’est qu’une question de temps.

M. Victor Hugo ne perdra pas pour attendre. En attendant, nous ne saurions le répéter trop haut, il n’y a rien de vulgaire, rien de bourgeois, rien de commun dans son Cromwell, œuvre poétique, toute virile, toute