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caractérisés, si peu individualisés, qu’aux noms près, ce sont les mêmes gens qu’on a vus et entendus dans cinquante autres pièces ; M. Victor Hugo a fait l’opération inverse ; on reconnaît facilement qu’à l’exemple de Shakspeare, il a commencé par méditer, par composer ses personnages, par les douer chacun d’un caractère, d’un langage, d’une physionomie indélébiles ; ces personnages une fois debout, l’action est obligée de marcher comme eux ; et l’agencement des scènes et des situations est une conséquence des développements de leurs caractères. De ces deux points de vue si opposés, l’action du drame doit nécessairement se dérouler dans des proportions et avec des formes très-diflférentes. Les avantages et les inconvénients de ces deux systèmes sont en contradiction perpétuelle. Dans le système classique, la fable du drame est plus serrée, plus rapide, plus régulièrement conduite, depuis l’exposition jusqu’à la catastrophe, en passant par la péripétie inévitable ; mais aussi les personnages ont moins d’individualité, les mœurs moins de vérité, tout l’ouvrage moins de vie ; dans le système romantique, l’action est moins homogène, la contexture de la pièce moins solidement charpentée, l’intérêt vulgaire moins bien combiné, peut-être ; mais comme les caractères y sont plus saillants ! comme le langage y est plus varié! comme les lieux et les temps nous apparaissent ! combien de magnifiques développements qui seraient des longueurs impossibles dans un drame étroitement classique ! M. Victor Hugo, en important ce nouveau procédé dans notre littérature dramatique, nous donne tout ce qui nous manquait, ou du moins fortifie toutes les parties faibles de notre théâtre : c’est donc tout bénéfice pour nous. Si l’on voulait discuter la supériorité intrinsèque des deux manières, peut-être les plus entêtés scholastiques seraient-ils forcés de reconnaître qu’il est plus conforme aux lois de la nature et par conséquent à celles de l’art, que i’Iwmme soit créé avant ses événements… Il nous semble qu’il faut d’abord vivre, pour avoir toutes les passions, toutes les joies et tous les malheurs de la vie. Arranger l’existence des