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D’aucun côté ne s’offre un asile, un seul coin
Contre la faim livide et les ours à l’œil fauve.
Dans l’obscure forêt poussé toujours plus loin.
Pâle et furtif, j’ai l’air d’un spectre qui se sauve.

Mais, pires que la faim et les monstres des bois,
Les hommes se sont mis, hélas ! à ma poursuite ;
Ils me pressent ainsi que le cerf aux abois,
Que les cruels tueront peut-être dans sa fuite.





SUR LES FLEURS DU MAL

A QUELQUES CENSEURS


Eh quoi ! les effrayants bouquets de Baudelaire
Susciteraient des lois l’équitable colère !…
Non, messieurs, — le Réel est ici le sujet ;
En brisant le miroir détruirait-on l’objet ?
La peinture, après tout, n’est point l’apologie.
Le danger radical, c’est une sale orgie
Masquée en beau gala ; c’est l’onduleux serpent,
Qui caresse et qui bave et s’élève en rampant ;
Le danger radical, c’est la page hypocrite
Pensée avec le fiel, avec le musc écrite ;
C’est l’ongle venimeux qui sortira d’un gant ;
C’est l’ulcère que couvre un satin élégant ;
C’est au théâtre impur une mielleuse enseigne ;
Voilà ce dont tout cœur et se révolte et saigne,
S’il est encor trempé du sacre baptismal.

Mais le livre qui grave à son front : Fleuus du mal,
Ne dit-il pas d’abord tout ce qu’il porte au ventre ?
Aux couvents, aux salons son nom défend qu’il entre.
Et, — sombre exception ! — comme certain traité
Des docteurs de l’Église ou de la Faculté,