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SOUS-OFFS

de toilette, — à Pâques. Et tout ça ourlé, marqué à mes initiales…

Il s’interrompit pour envoyer une pensée de reconnaissance à la donatrice évoquée : — Je sais bien… oui… j’aurais dû la quitter, à cause des officiers, de la consigne, des ennuis qu’elle me vaut… Mais je ne peux pas, hein ! Elle est trop bonne pour moi… Je ne la remplacerais pas, certainement !

Il revint à son triage ; il oubliait Favières, dans le feu de l’inventaire, le bilan hâtif d’une année d’amour. Il descendait, parfois, à une estimation approximative : « Ça vaut bien… » ; mais il se rattrapait sur d’autres objets, disant alors, nettement : « Ça vaut tant. »

Il ne fil qu’une courte pause devant le troisième compartiment renfermant un vêtement civil, bottines et chapeau compris.

— Elle m’a acheté cela l’été dernier, pour aller à la campagne. Nous dînons tous les dimanches au restaurant. Elle me donne son porte-monnaie avant d’entrer et je le lui rends en sortant, après avoir payé. Combien de fois m’a-t-elle dit : « Je ne veux pas te coûter un sou. Ta solde n’est pas si élevée. » Par exemple, des cadeaux utiles, toujours. Elle veut que j’aie mon trousseau complet quand je serai libéré… C’est bien aussi grâce à elle que j’ai pu réaliser quelques économies.

Il était arrivé au fond de la malle. Dans une chaussette hors de service, du numéraire tinta.

— Ah ! nous nous aimons bien ! fit-il.

Et Favières songeait que son chef venait de déballer toute sa vie, du haut au bas. Chaque compartiment marquait une étape dans la chute ignominieuse. Il n’avait mis qu’un an à tomber du couvercle au fond. Leurs relations commençaient aux boutons de manchettes et finissaient à la pièce de cent sous. Tout l’homme tenait dans cette malle ; en la vidant, il se dépeçait.

Quand Montsarrat eut replacé, l’un sur l’autre, les trois compartiments et refermé la malle, il s’assit dessus. Il avait l’air, ainsi, de tasser la provision, comme un amant profitant de l’absence de sa maîtresse pour la quitter en emportant le ménage.