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SOUS-OFFS

de notre rencontre. Il y a aujourd’hui un an que je l’ai vue pour la première fois, au bal, à Neuville.

— Ah ! c’est là que vous l’avez connue ?

— Bien drôlement. Parce que vous devez savoir… on vous a raconté… Enfin, je ne l’ai pas débauchée, là ! Quand j’ai voulu l’emmener après le bal, elle m’a confié que sa clientèle se composait exclusivement d’officiers. Elle voulait bien faire une exception en ma faveur, mais à la condition que je m’accommoderais du tarif : vingt francs. Ma foi ! j’acceptai, moins par entraînement amoureux que pour apprendre sur les officiers des particularités… vous me comprenez ? Elle avait presque tous les célibataires… et quelques autres, attirés et retenus par les garanties que présente Marie, dans ses meubles, discrète, propre, sans les dangers de la plage, ni les promiscuités du 44. Jolie… non, mais fameusement bâtie… et puis si bonne fille !… Enfin je passai une nuit excellente… Eh bien ! croyez-vous que je retrouvai dans mon porte-monnaie, en rentrant à la caserne, le louis que je lui avais donné ? Et le soir même je recevais un mot ne me laissant aucun doute sur la portée de la restitution. Depuis ce jour-là, nous nous voyons régulièrement… Les officiers ?… Ils n’ont point quitté Marie pour cela. Seulement, ils l’appellent chez eux, tous, sauf Schnetzer, qui me consigne régulièrement une fois par mois, afin d’être sûr de ne point me trouver auprès d’elle… Mais il aura son compte. Marie m’a dit : « Il emportera sur la figure des traces de son passage chez moi ! Regarde-le demain matin. » Elle est si gentille !…

Jamais Favières n’avait reçu les confidences de son chef ; il l’écoutait avec stupéfaction, évitant de l’interrompre, s’expliquant à mesure qu’il parlait, des attitudes et des habitudes, des soins et des besoins, sa science et son inconscience.

— Alors, c’est chez elle que vous allez tous les soirs ? dit le fourrier, sur un arrêt de Montsarrat. N’est-ce pas monotone à la fin ?

Mais l’autre se récria : — Je fais tout haut la lecture des feuilletons que Marie collectionne. Nous lisons en ce moment les Nuits du Père-Lachaise… Elle coud… Ah !