Nous n’allrons pas recommencer pour lui… Comme si c’était amusant de désarmer les hommes et de les passer à d’autres corps !… — Pourquoi voulez-vous aller au Tonkin ? lui a dit le double ; qu’est-ce que vous y ferez ? — Je ne sais pas, répondait l’autre… — Alors, foutez-moi la paix, vous aurez quatre jours pour vous être présenté devant moi dans une tenue négligée. Et Montsarrat avait raison. Rien n’est désagréable comme des mutations à la fin du trimestre. Leur Tonkin, on l’a quelque part !…
— C’est égal, dit quelqu’un, Court-Bouillon nous fera payer ça. Il aurait voulu présenter tout le bataillon.
Ah çà ! pensait Favières, est-ce que la bravoure ne serait que l’incontinence du sentiment contraire : des gens se sauvant par devant au lieu de s’enfuir en montrant les talons ?
Mais quelqu’un observa :
— Nous sommes bataillon disponible, on peut fort bien nous obliger à partir.
La remarque fit douche ; Favières dut intervenir pour amener la réaction.
— Une belle occasion pour écrire aux parents, dit-il ; on n’entre pas en campagne sans une première mise.
Tous dressèrent l’oreille, et une petite flamme de pillage purifia, au fond des prunelles, l’éclair de peur qui les avait dilatées.
« C’est drôle, notait Favières, chez le soldat, les sentiments habitent les parties basses ; l’âme se répartit, dans la culotte, entre la poche, la brayette et le fond… »
Le lendemain, au rapport : « Le commandant lève la punition des deux hommes en prison ; il accorde aux volontaires proposés dans chaque compagnie la permission permanente de dix heures. »
Les deux gaillards, à qui l’on ouvrait les portes de la boîte, clignaient de l’œil, malicieusement.
Le soir même, ils découchèrent ; quelques jours après, ils entraient à l’infirmerie.
Et dans le dos du major répondant au questionnaire du cahier de visite médicale, ils murmuraient, en se reculottant : « Allons ! il y a encore un bon Dieu !… Si nous allons au Tonkin avec ça !… »