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SOUS-OFFS

tenant son shako d’une main, de l’autre ramenant les pans de sa capote que les rafales troussaient.

Ils atteignirent ainsi le coin de la rue Notre-Dame et de la rue du Mortier-d’Or.

— Tiens ! c’est là que vont les sergents et les caporaux, remarqua Favières.

Il montrait un petit débit pudiquement vêtu d’épais demi-rideaux et se ventilant par l’économique imposte que parafait un nom : Couturier.

— Entrons-nous, pour voir ? dit Favières. Et comprenant l’hésitation de l’autre, il ajouta : — C’est moi qui paie.

Ils poussèrent la porte, plongèrent dans la fumée, les chants, l’haleine de trente militaires s’entassant dans une salle où vingt personnes « s’auraient senti les coudes », disait aimablement la patronne qui s’empressait autour des tables, happée au passage, pincée, baisée, débitant sa personne et les boissons avec un rire tout ensemble exorable et commerçant.

Elle trouva deux places aux fourriers, auprès d’elle, presque sous son comptoir, un peu surprise de voir des figures inconnues.

Une femme plus avenante que jolie, conservant dans l’air empesté une étonnante fraîcheur de teint, de lèvres, d’yeux ; un nez charmant, petit, mobile, et tout blanc ; et sous ce visage aux couleurs glorieuses, un corps avouant trente ans, travaillé, légendaire, illustré de coups et d’étreintes, comme la hampe d’un drapeau où s’est inscrit tout un passé d’amour : c’était Généreuse Couturier.

Quand elle eut installé les deux fourriers, débordée, elle cria : — Delphine, descends donc ! Pourquoi restes-tu là-haut ? Mouve-toi…

Favières leva la tête, aperçut dans l’œil d’un judas soudainement ouvert sur la salle une figure qui se pencha, puis s’effaça.

Et bientôt après, par une porte intérieure, entra une gamine dont l’air rechigné corrigeait la ressemblance avec la Couturier.

Elle bouscula un sergent qui l’arrêtait, fît le tour des tables, commanda : — Généreuse, deux fines et une