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SOUS-OFFS

— Tiens ! soixante-quinze centimes seulement mon escalope !

Dans son exclamation passait le regret de n’avoir pas pris un plat plus cher.

— Vous n’en avez que pour quinze francs, cria-t-il.

Tétrelle prit dans son porte-monnaie sept francs cinquante exactement, tandis que Favières, écœuré, soldait la note et donnait le pourboire.

Ils s’en allèrent, tous quatre, rouges, soufflant, à grand bruit de sabres.

Le café pris, les deux chefs ne s’attardèrent pas.

— Nous vous laissons, dit Petitmangin, nous sommes attendus.

Les fourriers soupçonnaient une partie fine, mais les sergents-majors se séparèrent rapidement, devant la Poissonnerie.

Alors Tétrelle et Favières restèrent fort embarrassés de leur soirée.

Il était neuf heures ; ils avaient une permission de minuit ; ils se trouvèrent également honteux de réintégrer le quartier trop tôt.

— Qu’est-ce que nous allons faire ? demanda Tétrelle.

Ils remontèrent la Grande-Rue, jusqu’au café des Tribunaux, s’arrêtèrent le front aux vitres, une minute. Ils virent des officiers qui jouaient aux cartes ou dormaient.

— Si tu crois qu’ils s’amusent plus que nous, dit Favières.

— Oui, mais ils ont chaud, répliqua Tétrelle.

Ils repartirent, rencontrèrent des sous-officiers errants aussi, portant leur permission de dix heures comme une croix.

Et ce cri échappa à Tétrelle : — Si seulement nous n’avions pas une permission de minuit !…

Ils revinrent par la rue Saint-Jacques, jusqu’à l’église, burent un kirsch rue de la Boucherie, se retrouvèrent au milieu de la place Nationale, ahuris par le vent, l’embêtement, — les pieds secs, gelés, toute la boue sur la tête, dans le ciel fuligineux.

— Tout droit, je crois, hurla Favières perdu, aveuglé,