On s’en alla. Les deux doubles marchaient devant, importants, avec ce tour de jambe exagéré par le sabre et qui est une élégance de métier…
Favières et Tétrelle les suivaient, à distance respectueuse, chétifs.
— Alors, on vous tolère une chambre dans ce désordre ? demanda le premier.
— Oh ! ça va bien maintenant, répondit l’autre, parce que le capiston est en permission, pour la révision de la carte…
— La carte de quoi ? interrompit Favières.
— Je ne sais pas !… J’ai entendu dire : la carte… Et paraît qu’il n’est pas commode, le capitaine ! En l’attendant, c’est Chamaraude qui commande la compagnie, un bon fieu ; tu sais… le grand lieutenant chargé de la gymnastique et de l’escrime ? Il travaille pour Joinville et se fout du reste. Le sous-lieutenant, c’est Lormelin, le poivrot. Le chef lui ferme le bec avec une absinthe et des bons de tabac.
— Moi, je ne pourrais pas vivre dans cette ordure.
— Ah ! tais-toi donc : tu n’as rien vu ! cette nuit, il s’est relevé… La paresse de descendre, mon vieux… il a posé ça dans une marmite de campement… Si on ne la rétame pas avant les manœuvres, c’est là-dedans qu’on fera la soupe.
— À gauche, chef ! cria Favières en entrant dans la Grande-Rue.
— Ah ! c’est là que nous dînons ; bien.
Tout de suite ils se composèrent un maintien exprimant à la fois l’arrogance et le contentement du militaire abordant un intermède dont l’inhabitude qu’il en a rehausse le prix.
Au premier, dans le grand salon blanc et or du restaurant, un jeu de glaces prolongeait à l’infini les deux rangées parallèles de petites tables nappées, à quatre couverts. Dans la perspective, un garçon, entre les tables, avait l’air d’un nain présidant à une dînette.
Les sergents-majors choisirent leurs places près de la fenêtre, « pour voir dans la rue », dit Montsarrat. Mais avant de s’asseoir, ils allèrent lisser leurs moustaches, côte à côte, devant une glace.