Page:Descaves - Sous-offs, 1927.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
SOUS-OFFS

d’une révélation pour eux, la salle commune étant aussi, vu l’incommodité du local, l’endroit où les sergents prenaient leurs repas. Seuls, les adjudants et les sergents-majors bénéficiaient de deux étroits cabinets, improvisés au moyen de paravents. La grande salle, longue et haute, était triste comme d’un essai raté de décoration, qui faisait paraître plus nus les murs. Là se retrouvaient des pannes avérées : les Dernières cartouches et le Libérateur du territoire ; une France matronale couronnant Gambetta et un gras forgeron de la Paix, le torse blanc et fleuri, comme un bœuf soufflé exposé à l’étal.

De laborieuses charges militaires, des portraits découpés dans des journaux illustrés, une chromolithographie sentimentale, erraient autour d’un large corps de bibliothèque, la bibliothèque des liquides.

Le cantinier civil, Burel, était un veuf quadragénaire, estimé de tous, mais que la fréquentation des adjudants n’enrichissait pas.

Favières et Tétrelle, en entrant dans la salle, l’appelèrent au comptoir qu’assiégeaient les sous-officiers briguant l’apéritif. Puis les nouveaux fourriers firent mettre deux litres sur chacune des tables réservées aux quatre compagnies.

On déjeuna : un premier, — de la basane recuite ; un second, — des haricots extraits des cartouches de tir réduit ; le dessert, — six boutons de culotte, percés avec soin, dans une assiette à fleurs.

— Ah ! des petits-fours ! dit avec ostentation un jeune sergent.

— Hein ! c’est meilleur que la gamelle ? appuya le sergent Blanc, celui-là même qui était allé chercher les Parisiens. Il piquait avec son couteau des tranches de pain taillées en cuillères, pour saucer aisément la lavasse de ses fayots ; et il vidait son verre d’un geste renouvelé, automatique, les lèvres en goulot ébréché par le tuyau de sa pipe. Dans sa dernière verrée, il fit tremper les six rondelles de pâte et ingurgita la potion, sans respirer.

La conversation était rare ; les sous-officiers mastiquaient sans récriminer, comme à l’exercice, dénom-