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SOUS-OFFS

tait le quai, devant la porte du quartier, et dans la Souille, au delà de l’arrière-port, les faisceaux de mâts peuplant des langues de ciel mélancoliques.

Les jours de pluie, le factionnaire tuait ses deux heures en regardant passer, sur l’eau, les chevelures d’herbes arrachées au barrage antérieur.

Quand les nouveaux promus arrivèrent, on n’attendait pas les recrues avant deux mois. Ils avaient donc le loisir de se familiariser avec les fonctions de leur grade.

Tétrelle et Favières, en dehors des corvées de semaine, de planton, d’ordinaire, de chambrée, de garde, travaillaient chez leurs sergents-majors respectifs, Petitmangin et Montsarrat. Et il leur restait le temps à peine d’aller se gargariser avec un champoreau ou un petit-sou, dont un calvados impétueux ranimait les vertus équivoques.

Assez rapidement Favières et Tétrelle, en considération des services rendus au bureau du chef, se firent exempter des corvées de semaine et d’ordinaire. Devouge et Chuard, moins heureux, connurent l’hostilité, le mauvais vouloir narquois des hommes devant le galon neuf, le mépris des regards mesurant le gradé aux cinquante centimètres de laine rouge dont sa manche est balafrée.

Le soir, à la veillée, les caporaux plus anciens qu’eux les plaisantaient, goguenards.

— Allez ! c’est pas la peine de faire du service ; vous v’là cabos… et pour longtemps !

Ils ressassaient le nombre de sous-officiers libérables, les rengagements possibles, les vides que ferait dans les cadres le départ de classe prochain.

« Vous, — ils désignaient Favières et Tétrelle, — vous courez une chance : c’est que le commandant oblige vos deux fourriers à permuter pour leur stage. »

Fichée dans une pomme de terre, la chandelle brandonnait en mèche de fouet.

À l’autre bout de la chambrée, sans lumière, quatre têtes baissées se heurtant presque, dans l’entre-deux des lits, formaient un groupe vague d’enfants jouant au cheval-fondu. Quatre Bretons, de différentes compagnies, se réunissaient ainsi, chaque soir, pour rien, pas