Page:Descaves - Sous-offs, 1927.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
SOUS-OFFS

Cet Édeline, un flandrin d’atelier, avait les hanches canailles, l’accent du faubourg, une extraordinaire gueule en biais, sur laquelle s’abaissait la perpendiculaire inattendue d’un nez foraminé par la petite vérole. Sous ce nez, deux avares languettes de poils roux retroussés semblaient des clous à crochet plantés à contre-sens dans une cloison.

Mauvezin prit le livret matricule à la page ouverte.

— Oh ! oh !… des punitions ! Pourquoi vous êtes-vous fait rayer du peloton d’instruction ?

— Pac’que l’commandement, là, vrai, j’ai pas ça dans l’sang !

Il ajouta avec un machinal mouvement du bras : — On ne se refait pas !…

Mais l’officier cria : — Les mains dans le rang !… et une attitude militaire… Qu’est-ce que c’est donc !… Il faudra revenir sur ces idées-là, mon garçon… et vivement. Ici, nous ne voulons pas de non-valeurs. Quel était votre métier ?

— Typo… Il se reprit : « typographe. »

— Eh bien, monsieur Schnetzer, il y a déjà ici, n’est-ce pas, cinq hommes au peloton d’instruction ? Ce gaillard-là fera le sixième ; et je veux au prochain examen qu’il soit le premier. Vous m’entendez, Édeline ?

— Oui, mon commandant.

— Faites demi-tour… Bien… Allez-vous-en.

— Forte tête, observa l’adjudant-major.

Mais Mauvezin répondit : — Ce sont les meilleurs soldats… quand on sait les prendre. J’aurai l’œil sur celui-ci.

— Eh bien ! je le gobe, ce légume ! cria Édeline, en rejoignant Favières et Devouge. Et le bras ployé en tuyau à coude, il souffla dans sa main ouverte, le baiser du voyou : « À toi, Court-Bouillon ! »

Ce dimanche-là, Favières, Devouge et Édeline firent leur première promenade dans Dieppe.

Quand ils eurent parcouru la plage, de l’établissement des bains à la jetée de l’Ouest, quand ils eurent vu le château, où demeurait le commandant, la statue de Duquesne et le Parc aux huîtres, l’église Saint-Jacques et la Poissonnerie, ils rentrèrent au Pollet, fixés.