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SOUS-OFFS

Mais ces jeunes hommes ont le regard mort, le poil indifférent, la chair inactive… Ils balancent une jambe, d’un air niais, payent ensuite précipitamment et s’en vont sans se retourner, tandis qu’un Parisien, derrière eux, crie à une fille qui le presse, s’accroche à lui :

« Non, je t’assure… pas de la blague… je ne saurais plus !… »

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Dix mois tout de même… et les galons de laine !

L’accoutumance est venue ; l’épiderme raboté sent bien la caque ; les ferments de sédition cèdent au mutage des sévices corrosifs ; le corps fléchi, decrué, étendu sur la table à repasser de l’obéissance, a reçu le coup de fer disciplinaire. Les fronçures de la peau sous le havresac sont pareilles aux plis du linge sous le carreau.

Quelquefois, le règlement batifole, fait la fantaisie… Les jours de marche forcée, par exemple, on tuyaute…

Maintenant, la sonnerie : « En bas ! » ne surprend plus personne. On a le temps d’en fumer une, avant que le clairon « rappelle » pour l’exercice.

Les lettres sont encore les bienvenues, mais on n’a pas comme cela des larmes plein les yeux… On sourit des recommandations et des doléances que n’appointe pas une matérielle preuve de la saignée familiale.

On mange la gamelle non sans appétit. L’argent de poche permet les succinctes gogailles de vinasse et de raisiné.

On est cabo…

Avec le premier galon, les haines refrénées se modifient. On ne campe plus. La chambrée est presque hospitalière. On y peut choisir un coin, son coin, en tête de l’escouade. On fait ouvrir et fermer les fenêtres au commandement. On réaffectionne les balades dans la rue de Paris ; on passe, avec intérêt, devant le panneau de glace des magasins ; on s’y mire complaisamment, d’un regard qui s’arrête à la manche, aux deux larges bandes rouges conférant vingt-deux sous par prêt et le droit de punir !

Le galonnat a développé les germes naturels et, inté-