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SOUS-OFFS

Les longs, les tristes dimanches d’une garnison de province !

Ils ont attendu dans la cour, près du poste, l’heure où le quartier est « déconsigné ». Ils ont attendu cirés, brossés, astiqués, gantés, étranglés, sans risquer un geste, mannequins ornés de grelots qui doivent se borner à reluire.

Dehors enfin, par deux, par quatre, par bandes barrant le trottoir, les bleus oscillent une minute, se dispersent, les pouces encadrant la plaque du ceinturon, par contenance.

La rue de Paris ! ils l’ont arpentée tant de fois déjà…

Ils savent par cœur les étalages ; ils se sont arrêtés, à l’accoutumée, devant le rond de serviette « pris dans la défense » ; devant le porte-plume promettant « une vue du Vatican » ; devant le coffret en coquillages, les marines peintes sur galet, les paniers-souvenirs, les béatilles, la photographie-album du nouveau bassin et les plans déployés au long des chambranles.

Alors quoi ? La jetée ? Une rue de Paris qui s’avance dans la mer : trop de beau monde. La musique ?… Tous les officiers ! il faut saluer à chaque pas, rectifier la tenue et garder les gants.

Et l’endroit préféré c’est, pour le paysan, une route déserte où il peut tenir son shako à la main, relâcher son ceinturon ; une illusion de bois, d’herbe où il s’étend, déboutonné, à côté de son sabre ; une songerie devant le soleil, tout autre, lui semble-t-il, que le soleil de son pays !

Tandis que, pour le Parisien, le rêve, au sortir de la caserne, c’est un coin de café, un billard, un rams à cartes grasses, le Journal amusant, — ou les sept heures de spectacle du Grand-Théâtre.

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Une accalmie des sens… à croire que la virilité a émigré du corps pour toujours.

Un soir, ils sont entrés, pour consommer, dans une maison de la rue d’Albanie. Tout de suite des femmes viennent les frôler, s’offrir, leur insuffler le désir, — comme on ranime des noyés.