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SOUS-OFFS

Comme ces rangées de soldats de bois, reposant sur des copeaux au fond des boîtes oblongues, les jambes en tronc d’arbre, la tête vissée, les bras collés au corps, ils se pétrifient sous la Méduse autocratique d’un infime caporal. C’est la position du soldat sans arme.

— Garde à vô… Expliquez-leurs-y le mouvement… Il ne faut pas que l’arme va-t-et vienne ! Un… pour la saisir avec la main gauche… No 1, j’vas vous faire barder… C’est le maniement des armes en décomposant.

Un aboiement déjetant les maxillaires, les voix de gorge exténuées, râlantes, sifflantes, l’effarement des continuelles nutations, des commandements inentendus, mâchés ; le trot, le pas de gymnastique, debout ! à genoux ! couchez-vous !

Tout ce travail de cirque : les Marches.

Entre les exercices, l’astiquage, les corvées, la fatrasserie des théories…

Cela, demain comme hier, après-demain comme aujourd’hui…

Et les minutes délicieuses, rares, les seules dont on jouisse vraiment, ce sont les minutes d’abandon sur le lit, d’étirage réparateur sur ce bon ami ! Quand on le retrouve, le soir, avec quel soupir allégeant on s’anéantit dans le maternel sommeil ! Sur la haute paillasse bourrée de paille, qui oscille ainsi qu’un berceau suspendu, le soldat se balance un moment, retourné en l’enfance heureuse où des bras de femme rythment l’assoupissement.

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L’hostilité de la chambrée ! On a entendu préférer le bagne, — le vrai ! — au recommencement des deux premiers mois.

On a connu toutes les variétés de l’esprit rural, qui s’exerce aux dépens des Parisiens ; on a eu la visite du faux major, le vote pour le cuisinier, le lit en bascule, en portefeuille ; on a reçu le quart d’eau juché sur les portes ; on a donné l’obligatoire baiser de l’homme lié, vers la bouche de qui s’abaissent des fesses nues ; on a subi le viol de la patience