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SOUS-OFFS

basse. « Pas réveiller le double… Il nous retiendrait. »

Et s’adressant au jeune soldat, courbatu et démoralisé :

— Suivez-moi, je vais vous montrer votre panier, dit le caporal.

Ils traversent des chambrées chaudes et fantastiques où le regard vacille, où le cœur tournoie…

— C’est là. Bonsoir.

Resté seul, le Parisien lutte quelque temps contre une couverture pareille à la poche d’un portefeuille neuf. Couché enfin, il examine, hagard, cette longue étable aux effluves de laquelle il apporte le renfort de ses goussets. Mais dans les ténèbres mouvantes la calotte de coton d’un ancien ondoie vers lui.

L’homme hésite, stoppe devant le lit voisin, cherche, parmi les vêtements civils étalés, une poche qu’il vide — puis s’éloigne avec précaution.

Crier, dénoncer le misérable, Favières y songe… Mais il redoute aussitôt l’hostilité de la chambre, ses représailles, s’il fait, lui bleu, condamner un vieux soldat.

Il se taira.

« … L’uniforme que vous aurez l’honneur de porter. »

Il se rappelle qu’on lui a dit cela ; il se sent lâche… Et, cependant, il y est entré, dans l’Honneur !

Il saisit son porte-monnaie, le glisse sous le traversin, puis, imparfaitement rassuré, entre ses cuisses ; et il s’assoupit enfin.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— En bas les bleus ! En bas !

C’est le cri unique, continuel, pendant huit jours, du réveil à l’extinction des feux : la gymnastique de l’obéissance passive.

En bas, pour la distribution des effets de petit et de grand équipement ; d’abord : cinquante objets qu’on emporte entre les bras, sans en connaître l’emploi ni l’utilité. Stock de godillots, n’offrant que deux ou trois pointures, au choix des pieds multiformes ; chemises rigides qu’on s’amuse à planter debout, les bras en croix, ainsi que des épouvantails ; cravate gros bleu, double licou jugulant et congestif ; sac à brosses, récep-