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MARCELINES DESBORDES-VALMORE

instruisit la veuve que j’allais quitter, des dangers qui m’attendaient but le bâtiment, si frêle en effet, qu’il ne ressemblait guère qu’à un grand canot couvert.

Cette embarcation marchande, emportant à Brest des morues sèches, de l’huile de baleine, etc., ne recelait d’autres provisions que quelques pièces de bœuf salé et du biscuit à rompre au marteau. Le feu de l’habitacle et celui des pipes était le seul qui devait s’allumer pour le réconfort d’un si long voyage.

« Elle mourra, dit le gouverneur à la jeune veuve qui me pleurait déjà ; je vous dis, madame, qu’elle mourra. »

Toutes leurs paroles m’arrivaient à travers la cloison, mais aucune ne changeait ma résolution de partir. On vint me chercher pour répondre moi-même ; je pleurais, mais je refusais tout dans l’horreur de rester. Il me semblait que plutôt que de m’y résoudre, j’aurais tenté ce qu’un petit nègre de la maison voulait entreprendre pour me suivre : je me serais jetée à la mer, croyant comme lui, trouver dans mes bras la force de nager jusqu’en France.

La terreur me chassait de cette île mouvante. Un tremblement de terre, peu de jours auparavant, m’avait précipitée sur mon lit tandis que je tressais mes cheveux, debout devant un petit miroir. J’avais peur des murs ; j’avais peur du bruit des feuilles ; j’avais peur de l’air. Les cris des oiseaux m’excitaient à partir. Parmi toute cette population mouvante ou portant le deuil des morts, les oiseaux seuls me paraissaient vivants, parce qu’ils avaient des ailes. Le gouverneur n’obtint rien de ma reconnaissance que des actions de grâce et un salut d’adieu.

J’ai toujours en moi sa figure désolée quand il sortit, m’abandonnant à ma destinée, qu’il pressentait fatale :