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L’ÉPOUSE
qu’au fond du cœur, ai-je assez souffert de vos peines ?

Elles entraient dans les miennes, elles pèseront toujours sur ma mémoire et troubleront jusqu’à la douceur de votre souvenir. Vous avez été bien malheureux ! Mes enfants m’ont vue pâlir et chanceler, mais ils n’ont pleuré d’abord qu’à me voir pleurer ; je n’ai rien dit. Comment trouver le courage de frapper, même l’enfance, par un mot…

Adieu, mon oncle ! Avez-vous revu votre mère ? Embrassez aussi mon père pour moi. Vous êtes bien heureux, bien exaucé si vous les avez revus. Moi, je suis bien triste ! Je suis atteinte jusque dans l’avenir. Je demandais si ardemment à Dieu de vous y trouver, de vous y payer du chagrin de mon absence ! Dieu ne m’aime pas… Qu’il vous reçoive dans son sein ! Adieu, mon oncle !…

Quel désespoir ! Quoi ? je ne partirais pas pour aller vers vous ? Non ! Il n’y a plus que cette ombre qui vient me tendre les bras…

Je ne sais pas si cette lettre fut expédiée. Oh ! que l’on ne voie pas ici la moindre ironie… Si ce n’est nous-mêmes, quelqu’un, dans notre entourage, est toujours capable de faire ce que fit un jour Stéphane Mallarmé d’une lettre adressée par sa fillette Au bon Dieu. — Au ciel.

« Je l’ai mise à la poste, racontait harmonieusement cet autre poète ; est-ce qu’on sait ?… »

L’impulsion de Marceline s’explique d’autant mieux, d’ailleurs, qu’elle écrivait ordinairement dans l’état de fièvre et qu’à ses premiers accès remontent ses premiers vers. « Je fus forcée de les écrire, disait-elle à Sainte-Beuve, pour me déli-