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L’ÉPOUSE

J’ai été si longtemps une grande innocente qu’il vous est bien permis de m’aimer à la volonté de votre cœur, au moins pour ce temps si doux de ma vie. Je vous demande en grâce de ne pas rêver de punition trop terrible de la part de Dieu… Comme homme, comme oncle et j’ose presque dire comme père, vous m’avez pardonné. Croyez-vous que Dieu soit moins bon qu’un père, qu’un oncle et qu’un homme ? Oh ! mon oncle, c’est impossible à croire… Je ne veux plus de pension, car elle ne doit appartenir qu’à la vertu sans un seul reproche ; mais où voulez-vous que j’aille rêver que le roi est plus indulgent que Dieu ?

Constant Desbordes accepta sans doute de mauvaise grâce le cadeau de sa nièce, mais il l’accepta…, quitte à lui rendre, en échange, quelques petits services, comme de porter, par exemple, à M. de Latouche, les poésies qu’elle lui soumettait avant de les livrer à l’impression.

Il ne nous écrit pas, et je ne veux pas le fatiguer de nos lettres, mais dites-lui bien, en le remerciant mieux que je ne le ferais moi-même, qu’il devrait me faire envoyer une épreuve, pour que je regarde un peu comment on m’arrange, car ils font tout cela comme si j’étais morte.

L’oncle Desbordes, moraliste sévère, eût-il consenti à des démarches de ce genre, si sa nièce l’avait délégué auprès d’un ancien amant ? Le vieil artiste est le dernier qu’elle eût choisi comme intermédiaire. Ce simple détail suffirait déjà pour ruiner une fragile hypothèse.