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LA JEUNE FILLE

Il faut répondre, cependant, aux questions de sa sœur… Et la voix de Marceline prend, alors, des inflexions raciniennes :

Sais-tu ce qu’il m’a dit ? Des reproches… des larmes…
Il sait pleurer, ma sœur !
Ô Dieu ! que sur son front la tristesse a de charmes !
Que j’aimais de ses yeux la brûlante douceur !
Sa plainte m’accusait ; le crime… je l’ignore :
J’ai fait pour l’expliquer des efforts superflus.
Ces mots seuls m’ont frappée, il me les crie encore :
Je ne te verrai plus !

Mais elle ne peut pas croire qu’il ne reviendra pas.

Sans retour ! Le crois-tu ? Dis-moi que je m’égare,
Dis qu’il veut m’éprouver, mais qu’il n’est point barbare.
Dis qu’il va revenir, qu’il revient… trompe-moi,
Mais obtiens qu’il me trompe à son tour comme toi.
Va le lui demander, va l’implorer… Demeure :
L’orgueil est entre nous, il glace, il est mortel.
N’est-ce pas qu’il me fuit et qu’il faut que je meure ?
N’est-ce pas que je souffre et que l’homme est cruel ?
Ne l’accuse jamais. Songe que je l’adore
Puisque je vis encore :
Avant qu’à le trahir j’accoutume ma voix,
Ma sœur, j’aurai parlé pour la dernière fois !
Tout change, il a changé[1] ; d’où vient que j’en murmure ?
Pourquoi ces pleurs amers dont mon cœur est baigné ?
Que l’amour a de pleurs quand il est dédaigné !
Tout change, il a changé. C’est là sa seule injure.

  1. C’est, dans l’œuf, le vers de Lamartine :
    Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !