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créées est que les unes sont intellectuelles, c’est-à-dire sont des substances intelligentes, ou bien des propriétés qui appartiennent à ces substances ; et les autres sont corporelles c’est-à-dire sont des corps, ou bien des propriétés qui appartiennent au corps. Ainsi l’entendement, la volonté et toutes les façons de connaître et de vouloir, appartiennent à la substance qui pense ; la grandeur, ou l’étendue en longueur, largeur et profondeur, la figure, le mouvement, la situation des parties et la disposition qu’elles ont à être divisées, et telles autres propriétés, se rapportent au corps. Il y a encore outre cela certaines choses que nous expérimentons en nous-mêmes, qui ne doivent point être attribuées à l’âme seule, ni aussi au corps seul, mais à l’étroite union qui est entre eux, ainsi que j’expliquerai ci-après : tels sont les appétits de boire, de manger, et les émotions ou les passions de l’âme, qui ne dépendent pas de la pensée seule, comme l’émotion à la colère, à la joie, à la tristesse, à l’amour, etc. ; tels sont tous les sentiments, comme la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, le goût, la chaleur, la dureté, et toutes les autres qualités qui ne tombent que sous le sens de l’attouchement. (46)

49. Que les vérités ne peuvent ainsi être dénombrées, et qu’il n’en est pas besoin.

Jusques ici j’ai dénombré tout ce que nous connaissons comme des choses, il reste à parler de ce que nous connaissons comme des vérités. Par exemple, lorsque nous pensons qu’on ne saurait faire quelque chose de rien, nous ne croyons point que cette proposition soit une chose qui existe ou la propriété de quelque chose, mais nous la prenons pour une certaine vérité éternelle qui a son siège en notre pensée, et que l’on nomme une notion commune ou une maxime : tout de même quand on dit qu’il est impossible qu’une même chose en même temps soit et ne soit pas, que ce qui a été fait ne peut n’être pas fait, que celui qui pense ne peut manquer d’être ou d’exister pendant qu’il pense et quantité d’autres semblables, ce sont seulement des vérités, et non pas des choses qui soient hors de notre pensée, et il y en a si grand nombre de telles qu’il serait malaisé de les dénombrer, mais aussi n’est-il pas nécessaire, parce que nous ne saurions manquer de les savoir lorsque l’occasion se présente de penser à elles, et que nous n’avons point de préjugés qui nous aveuglent.

50. Que toutes ces vérités peuvent être clairement aperçues, mais non pas de tous, à cause des préjugés.

Pour ce qui est des vérités qu’on nomme des notions communes, il est certain qu’elles peuvent être connues de plusieurs très clairement et très distinctement ; car autrement elles ne mériteraient pas d’avoir ce nom ; mais il est vrai aussi qu’il y en a qui le méritent au regard de quelques personnes, qui ne le méritent point au regard des autres, à cause qu’elles ne leur sont pas assez évidentes. Non pas que je croie que la faculté de connaître qui est en quelques hommes s’étende plus loin que celle qui est communément en tous, mais c’est plutôt qu’il y en a lesquels ont imprimé de longue main des opinions en leur créance qui, étant contraires à quelques-unes de ces vérités, empêchent qu’ils ne les puissent apercevoir, bien qu’elles soient fort manifestes à ceux qui ne sont point ainsi préoccupés.

51. Ce que c’est que la substance ; et que c’est un nom qu’on ne peut attribuer à Dieu et aux créatures en même sens.

Pour ce qui est des choses que nous considérons (47) comme ayant quelque existence, il est besoin que nous les examinions ici l’une après l’autre, afin de distinguer ce qui est obscur d’avec ce qui est évident en la notion que nous avons de chacune. Lorsque nous concevons la substance, nous concevons seulement une chose qui existe en telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister. En quoi il peut y avoir de l’obscurité touchant l’explication de ce mot, n’avoir besoin que de soi-même ; car, à proprement parler, il n’y a que Dieu qui soit tel, et il n’y a aucune chose créée qui puisse exister un seul moment sans être soutenue et conservée par sa puissance. C’est pourquoi on a raison dans l’École de dire que le nom de substance n’est pas univoque au regard de Dieu et des créatures, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune signification de ce mot que nous concevions distinctement, laquelle convienne à lui et à elles : mais parce qu’entre les choses créées quelques-unes sont de telle nature qu’elles ne peuvent exister sans quelques autres, nous les distinguons d’avec celles qui n’ont besoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-ci des substances, et celles-là des qualités ou des attributs de ces substances ;

52. Qu’il peut être attribué à l’âme et au corps en même sens ; et comment on connaît la substance.

Et la notion que nous avons ainsi de la substance créée se rapporte en même façon à toutes, c’est-à-dire à celles qui sont immatérielles comme à celles qui sont matérielles ou corporelles ; car il faut seulement, pour entendre que ce sont des substances, que nous apercevions qu’elles peuvent exister sans l’aide d’aucune chose créée. Mais lorsqu’il est question de savoir si quelqu’une de ces