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la Trinité, nous ne ferons point difficulté de les croire, encore que nous ne les entendions peut-être pas bien clairement. Car nous ne devons point trouver étrange qu’il y ait en sa nature, qui est immense, et en ce qu’il a fait, beaucoup de choses qui surpassent la capacité de notre esprit.

26. Qu’il ne faut point tâcher de comprendre l’infini mais seulement penser que tout ce en quoi nous ne trouvons aucunes bornes est indéfini.

Ainsi nous ne nous embarrasserons jamais dans les disputes de l’infini ; d’autant qu’il serait ridicule que nous, qui sommes finis, entreprissions d’en déterminer quelque chose, et par ce moyen le supposer ni en tâchant de le comprendre ; c’est pourquoi nous ne nous soucierons pas de répondre à ceux qui demandent si la moitié d’une ligne infinie est infinie, et si le nombre infini est pair ou non pair, et autres choses semblables, à cause qu’il n’y a que ceux qui s’imaginent que leur esprit est infini qui semblent devoir examiner telles difficultés. Et, pour nous, en voyant des choses dans lesquelles, selon certains sens, nous ne remarquons point de limites, nous n’assurerons pas pour cela qu’elle soient infinies, mais nous les estimerons seulement indéfinies. Ainsi, parce que nous ne saurions imaginer une étendue si grande que nous ne concevions en même temps qu’il y en peut avoir une plus grande, nous dirons que l’étendue des choses possibles est indéfinie ; et parce qu’on ne saurait diviser un corps en des parties si petites que chacune de ses parties ne puisse être divisée en d’autres plus petites, nous penserons que la quantité peut être divisée en des parties dont le nombre est indéfini ; et parce que nous ne saurions imaginer tant d’étoiles que Dieu n’en puisse créer davantage, nous supposerons que leur nombre est indéfini, et ainsi du reste. (37)

27. Quelle différence il y a entre indéfini et infini.

Et nous appellerons ces choses indéfinies plutôt qu’infinies, afin de réserver à Dieu seul le nom d’infini ; tant à cause que nous ne remarquons point de bornes en ses perfections, comme aussi à cause que nous sommes très assurés qu’il n y en peut avoir. Pour ce qui est des autres choses, nous savons qu’elles ne sont pas ainsi absolument parfaites, parce qu’encore que nous y remarquions quelquefois des propriétés qui nous semblent n’avoir point de limites, nous ne laissons pas de connaître que cela procède du défaut de notre entendement, et non point de leur nature.

28. Qu’il ne faut point examiner pour quelle fin Dieu a fait chaque chose, mais seulement par quel moyen il a voulu qu’elle fut produite.

Nous ne nous arrêterons pas aussi à examiner les fins que Dieu s’est proposées en créant le monde, et nous rejetterons entièrement de notre philosophie la recherche des causes finales ; car nous ne devons pas tant présumer de nous-mêmes, que de croire que Dieu nous ait voulu faire part de ses conseils : mais, le considérant comme l’auteur de toutes choses, nous tâcherons seulement de trouver par la faculté de raisonner qu’il a mise en nous, comment celles que nous apercevons par l’entremise de nos sens ont pu être produites ; et nous serons assurés, par ceux de ses attributs dont il a voulu que nous ayons quelque connaissance, que ce que nous aurons une fois aperçu clairement et distinctement appartenir à la nature de ces choses, a la perfection d’être vrai.

29. Que Dieu n’est point la cause de nos erreurs.

Et le premier de ses attributs qui semble devoir être ici considéré, consiste en ce qu’il est très véritable et la source de toute lumière, de sorte qu’il n’est pas possible qu’il nous trompe, c’est-à-dire qu’il soit directement la cause des erreurs auxquelles nous sommes sujets, et que nous expérimentons en nous-mêmes ; car encore que l’adresse à pouvoir tromper semble être une marque de subtilité d’esprit entre les hommes, néanmoins jamais (38) la volonté de tromper ne procède que de malice ou de crainte et de faiblesse, et par conséquent ne peut être attribuée à Dieu.

30. Et que par conséquent tout cela est vrai que nous connaissons clairement être vrai, ce qui nous délivre des doutes ci-dessus proposés.

D’où il suit que la faculté de connaître qu’il nous a donnée, que nous appelons lumière naturelle, n’aperçoit jamais aucun objet qui ne soit vrai en ce qu’elle l’aperçoit, c’est-à-dire en ce qu’elle connaît clairement et distinctement ; parce que nous aurions sujet de croire que Dieu serait trompeur, s’il nous l’avait donnée telle que nous prissions le faux pour le vrai lorsque nous en usons bien. Et cette considération seule nous doit délivrer de ce doute hyperbolique où nous avons été pendant que nous ne savions pas encore si celui qui nous a créés avait pris plaisir à nous faire tels, que nous fussions trompés en toutes les choses qui nous semblent très claires. Elle doit nous servir aussi contre toutes les autres raisons que nous avions de douter, et que j’ai alléguées ci-dessus ; même les vérités de mathématique ne nous seront plus suspectes, à cause qu’elles sont très évidentes ; et si nous apercevons