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une vente ; la pièce tout entière est un autographe de Condorcet. La voici in-extenso :

« Un petit-neveu de Descartes, le fils de la dernière descendante de ses frères, ose solliciter un décret, qui accorde à ses cendres l’honneur d’être placées dans le Temple que l’Assemblée nationale a consacré aux Manes de nos grands hommes. »

« Descartes, éloigné de la France par la superstition et le fanatisme, est mort dans une terre étrangère. Ses amis, ses disciples voulurent que du moins il eût un tombeau dans sa patrie. Son corps, transporté par leurs soins, fut déposé dans l’ancienne église de Sainte-Geneviève ; il leur paraissoit que celui qui avoit rétabli la raison humaine dans ses droits, devoit être placé au milieu des écoles publiques, où l’on s’appliquoit à former celle des générations naissantes, afin que ses cendres écartassent à jamais les préjugés de ce lieu consacré par elles. Ils lui avaient préparé un éloge public ; mais la superstition défendit de louer un philosophe, l’orgueil ne permit pas d’honorer un particulier qui n’étoit qu’un grand homme, et si le prince royal aujourd’hui roi de Suède n’avoit voulu consacrer par un monument[1] l’honneur qu’avoit eu son pays de servir d’agile à la philosophie persécutée, aucune distinction publique n’auroit vengé l’apôtre de la raison des amertumes auxquelles la haine de ses ennemis l’avoit condamné. »

« Mais cette longue attente peut être plus que réparée : celui qui, en brisant les fers de l’esprit humain, préparait de loin l’éternelle destruction de la servitude politique, semblait mériter de n’être honoré qu’au nom d’une nation libre ; et le sort l’a servi d’une manière digne de lui, en le préservant des honneurs que l’orgueil du despotisme aurait souillés[2]. »

  1. Gustave III, qui devait bientôt périr assassiné à Stockholm, le 29 mars 1792. Son père étant mort le 12 févr. 1771, pendant que lui-même se trouvait justement à Paris (du 4 févr. au 25 mars 1771), il n’était encore que prince héritier, lorsqu’il fit élever en 1770 à Descartes, dans l’église Adolphe-Frédéric de Stockholm, un monument, œuvre du sculpteur suédois Johan Tobias Sergel. Un marbre dressé porte cette inscription : gustavus pr. haer. r. s. | renato cartesio | nat. in gallia mdxcvi | mort. in svecia mdcl | munumentum erexit | mdcclxx. Au-dessus un médaillon, représentant les traits du philosophe ; au bas, un Génie, éclairant d’un flambeau une sphère, dont il soulève le voile qui la recouvrait.
  2. Le texte de la pétition est suivi, dans l’autographe, de cette note d’un autre caractère :

    « N(ot)a. le désire que, dans la lettre, M. de Châteaugiron n’insiste pas sur l’extinction de la famille de Descartes. Je connois deux jeunes