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Passions de l'Ame. 501

resteront aussi les mêmes; enfin plus tard les signes exté- rieurs, actions des yeux et du visage, changements de cou- leur, tremblements, langueur, pâmoison même, et le rire et les larmes, et les gémissements, et les soupirs, tout cela sub- siste, bien que nous puissions parfois le modifier à notre gré. C'est la partie physique des passions, sur laquelle Elisabeth n'était pas sans faire quelques réserves.

En revanche, elle approuvait entièrement la partie morale. A mesure que s'accroît notre existence humaine ou de ce composé que nous sommes d'un corps et d'une âme, on voit se développer aussi nos passions. L'amour, par exemple, reste bien le même en son fonds, et se ressent toujours de ce qu'il a été d'abord; mais à quoi ne peut-il pas ensuite s'appliquer? Amour du vin chez un ivrqgne, et chez un brutal (nous dirions aujourd'hui une brute) amour 'd'une femme jusqu'à lui faire violence; amour de l'argent chez un avare, amour des honneurs chez un ambitieux; amour d'un honnête homme pour son ami ou pour sa maîtresse, amour d'un bon père pour ses enfants*". Ici intervient un clément d'appréciation que nous retrouve- rons bientôt, et qui ennoblit singulièrement l'amour. Celui-ci par ses racines tient, nous l'avons vu, au plus profond de la vie animale; mais il grandit, il s'élève; en lui finalement comme en sa fleur s'épanouit l'humanité. Toujours, quand on aime, on prétend former un tout avec ce qu'on aime : un tout dont on est soi-même une partie, et ce qu'on aime, l'autre partie**. Laquelle des deux doit-on préférer? Descartes dis- tingue trois cas. Ou bien cette autre partie ne nous vaut pas : c'est, par exemple, une fleur, un oiseau, un cheval; en ce cas, ce serait folie de ne pas nous préférer nous-mêmes. Ou bien

a. Tome XI, p. 411, 1. 21-25, où ces signes sont énumérés. Descartes les reprend ensuite l'un après l'autre, p. 412-428 : art. cxiii-cxxxv.

b. Tome IV, p. 404 (notamment 1. 14-18) à p. 405 : lettre du 25 avril 164Ô.

c. Tome XI, p. 388-389 : art. lxxxii.

d. Ibid., p. 389-391 : art. lxxxii. Et t. IV, p. 61 i-6i3 : lettre du i"févr. 1647.

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