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de lui ; il parut même renoncer à expliquer cette formation ; mais à la fin, il crut de bonne foi y réussir[1]. Et ne distinguant pas entre les êtres vivants, l’explication de l’être humain ne lui parut pas offrir plus de difficultés que celle des autres animaux.

Mais s’il croyait pouvoir expliquer comment se forment les organes et les membres, en un mot le corps, pourquoi n’expliquerait-il pas aussi l’âme, dont toute l’essence n’est que de penser ? On s’étonna d’abord, et bientôt on se moquera de la théorie cartésienne de l’enfant, philosophe précoce qui pense dès le sein de sa mère. Pense-t-il cependant, au point de faire de la métaphysique déjà ? Assurément non, et Descartes ne le prétend pas non plus. L’enfant encore à naître n’est toutefois point sans avoir des pensées obscures et confuses, des émotions, des passions. Descartes remonte jusque-là pour expliquer l’origine des passions principales[2] : que l’enfant reçoive de sa mère une bonne nourriture en abondance, il en éprouve de la joie et il aime cette nourriture ; qu’elle soit insuffisante ou mauvaise, il ressent, au contraire, de la tristesse et du dégoût qui est déjà de la haine. L’explication est tirée de bien loin, en apparence ; en réalité, elle est toute proche de nous, elle est prise au plus profond de notre être physique. Avant de la publier en 1649, c’est elle que Descartes avait résumée d’une façon si nette[3] à Chanut, le 1er  février 1647, et déjà même à la princesse Élisabeth, en mai 1646.

Ces quatre passions primitives : tristesse et joie, haine et amour, qui prennent ainsi naissance avec la vie physique, ne tardent pas à avoir d’autres objets. Sans doute, elles retiendront toujours quelque chose de leur origine ; les mouvements intérieurs des esprits et du sang, qui les accompagnent, demeureront les mêmes pendant tout le cours de notre existence ; les effets sur le cœur, sur le poumon, sur l’estomac,

  1. Tome V, p. 112, l. 19-25 : lettre du 31 janvier 1648. (Corriger en haut de la page 113 : 31, et non 25.) Voir aussi t. I, p. 254, l. 5-9, et p. 263, l. 1-8 : lettres de juin et de nov. ou déc. 1632.
  2. Tome XI, p. 407-411 : art. cvii-cxi.
  3. Tome IV, p. 604, l. 17, à p. 626, l. 27 ; et p. 409, l. 6-19.