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la philosophie du siècle, la grande philosophie des temps modernes, s’arrêta court, hésita, et ne reprit sa marche que timidement et en se détournant quelque peu de sa route.

L’avenir, certes, était à elle, et Descartes saura bien trouver un biais pour présenter ses idées, de façon à ne pas inquiéter les consciences. Mais ce sera toujours un biais. Sa philosophie en sera gênée dans ses libres démarches ; elle s’embarrassera peut-être d’un bagage métaphysique dont elle se fût volontiers allégée, et elle s’engagera, pour la physique, dans un détour qui n’est plus le grand chemin où elle allait d’abord droit devant soi. Lui qui s’était contenté, en 1629, d’un « petit traité de métaphysique », courte introduction à sa physique, l’aurait-il repris, comme il fît en 1640, en le grossissant ensuite de tant d’objections et de réponses, et en se gardant bien surtout de dire que ce n’était que le fondement de sa physique, rien autre chose, s’il n’avait point voulu se concilier les théologiens en leur donnant d’abord une sorte de théologie naturelle, et en les désarmant ainsi par avance pour le jour où il publiera sa physique ? Et celle-ci même, ne lui fera-t-il pas subir des remaniements, en y accolant des hypothèses nouvelles, une surtout, qui rappellera Tycho-Brahé plutôt que Copernic, sorte de compromis imaginé après coup pour la rendre moins suspecte ? La philosophie de Descartes restera donc, du fait de la condamnation de Galilée, non point faussée, certes, mais tout de même déviée, poussée hors de la voie où elle s’avançait d’abord d’une si franche allure et avec une si fière indépendance.