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de la sentence de l’Inquisition en 1633), à cause d’elle et par sa faute, nous n’avons pas le vrai Descartes. L’effet moral que voulait l’Église fut produit, effet d’intimidation, qui retarda les progrès de la science et de la philosophie. Sans doute, physiquement, on n’avait point fait grand mal à Galilée. Encore fut-il menacé d’être arrêté à Florence et d’être amené à Rome les fers aux pieds ; encore fut-il enfermé dix-huit jours dans un dortoir du Saint-Office, et relâché seulement en considération de sa santé et de son âge ; encore fut-il menacé de la torture (et que l’on songe à l’effet d’une telle menace sur un vieillard de soixante-dix ans et malade)[1] ; encore fut-il condamné ensuite à ne pas s’éloigner de sa maison des champs, lui qui avait plutôt ses habitudes à la ville ; encore fut-il astreint, pour le reste de ses jours, à une pénitence et à une réclusion de moine. A cela près, on ne lui fit point de mal ; seulement on tenta de le déshonorer. Il dut avouer que ce qu’il avait dit et écrit, il ne le pensait pas. Une fois de plus, l’Église manifestait sa puissance par un acte d’autorité que beaucoup de catholiques eux-mêmes considérèrent comme un abus de pouvoir. Elle força la science à se rétracter, à abjurer. Sur un mot d’elle, ce qui devait être

  1. Citons, à ce propos, ce passage d’un livre que Descartes a peut-être eu entre les mains : Curioſitez inouyes de Jacques Gaffarel, public en 1629. (Voir notre tome I, p. 25, l. 13.) Il s’agit du malheureux Campanella, dont il a été question ci-avant, p. 65-66. Gaffarel intitule ainsi le chap. vi, § 13, de son livre : Moyen de cognoiſtre le naturel de quelqu’vn, ſuiuant Campanella, et raconte qu’il a vu le philosophe dans les circonstances suivantes : « …comme i’eſtois à Rome, ayant ſceu qu’on l’y auoit amené, i’eus la curioſité de le viſiter à i’Inquiſition, non ſans beaucoup de peine : m’eſtant donc mis à la compagnie de quelques Abbez, on nous meina à la chambre où il eſtoit, & auſſitoſt qu’il nous apperceut, il vint à nous, & nous pria d’auoir vn peu de patience, qu’il euſt acheué vn billet qu’il eſcriuoit au Cardinal Magalot : nous eſtans aſſis, nous apperceumes qu’il faiſoit fouuent certaines grimaces, qui nous faiſoient iuger qu’elles partoient ou de folie, ou de quelque douleur, que la violence des tourments dont on l’a affligé luy euſt cauſé, ayant le gras des jambes toutes meurtries, & les feſſes preſque ſans chair, la luy ayant arrachée par morceaux, afin de tirer de luy la confeſſion des crimes dont on l’accuſoit… » (Pages 267-268.) Ce n’était d’ailleurs ni l’une ni l’autre de ces deux causes.